Validation par la cour administrative d’appel de Paris du contrat de partenariat portant sur la construction du nouveau palais de justice de Paris

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2014

Temps de lecture

7 minutes

CAA Paris 3 avril 2014 Association « La justice dans la cité » et M. Bourayne, req. n° 13PA02769, 13PA02766 et 13PA02770

Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Paris constitue le nouvel épisode de la saga contentieuse du contrat de partenariat ayant pour objet la conception, la construction, le financement, l’entretien et la maintenance du futur palais de justice de Paris dans la zone d’aménagement concerté de Clichy-Batignolles, projet déjà contesté devant le tribunal administratif de Paris par l’association « La Justice dans la Cité » et par un avocat du barreau de Paris.

L’association « La Justice dans la Cité » et un avocat – par ailleurs président de l’association requérante précédemment citée – s’estimant lésé par le futur projet avaient demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler les décisions suivantes :

► la délibération du conseil d’administration de l’Etablissement public du palais de justice de Paris (ci-après « EPPJP ») attribuant le contrat de partenariat au groupement mené par Bouygues Bâtiment Ile-de-France ;
► la délibération du conseil d’administration de l’EPPJP approuvant le contenu du contrat et autorisant le directeur général de l’établissement à signer le contrat ;
► la décision du directeur général de l’EPPJP de signer le contrat ;
► la décision d’acceptation d’une cession par le secrétaire général du ministère de la justice agissant au nom de l’Etat d’une cession de créance irrévocable consentie par la société de projet Arelia au profit de divers établissements de crédit en application du contrat de partenariat ;
► la décision du secrétaire général du ministère de la justice de signer un accord autonome entre l’Etat, Arelia et un groupement d’établissements de crédit ayant pour objet de définir les modalités d’indemnisation d’Arelia en cas d’annulation, de résolution, de déclaration de nullité ou de résiliation du contrat de partenariat 1) Ou d’un de ses actes détachables en ce qui concerne l’annulation. en cause.

Le tribunal administratif de Paris ayant jugé ces recours irrecevables pour défaut d’intérêt à agir par trois jugements du 17 mai 2013 2) TA Paris 17 mai 2013 association « LA JUSTICE DANS LA CITE » et M. B., n° 1206417, 1208605 et 1209054., les requérants ont fait appel.

1. La cour s’est d’abord prononcée sur l’intérêt à agir des parties, jugées irrecevables en première instance, et a infirmé une partie du jugement en considérant que l’association précitée et l’avocat requérant, avaient qualité pour agir dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir contre contre la délibération du conseil d’administration de l’EPPJP approuvant le contenu du contrat et autorisant son direct général à signer le contrat et contre la décision du directeur général de signer le contrat en cause, ces décisions ayant un lien direct avec l’objet social de l’association et ayant aussi des conséquences sur la vie professionnelle de l’avocat requérant.

En revanche, la cour administrative de Paris a confirmé la position du tribunal administratif sur le défaut d’intérêt à agir contre les trois autres décisions précitées.

2. Les requérants ayant soulevés de nombreux moyens, nous nous attarderons plus particulièrement sur deux points.

En premier lieu, on peut relever avec intérêt une application de la jurisprudence du Conseil d’Etat Danthony 3) CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n°335033. On relévera l’approche identique initiée par le le Conseil d’Etat dans l’arrêt Tarn-et-Garonne (CE 4 avril 2014 Département Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).. En effet, concernant l’avis du garde des sceaux sur le « périmètre de la procédure à lancer » dont l’absence aurait vicié l’ensemble de la procédure selon les requérants, la cour a estimé que, même si ce dernier était nécessaire :

« la méconnaissance par l’EPPJP des stipulations de l’article 4 de la convention du 15 février 2010, s’agissant de l’avis du garde des sceaux, ministre de la justice, sur le périmètre de la procédure à engager, n’a pas été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le choix qui a été arrêté, en février 2012, dès lors qu’il est manifeste que la procédure s’est déroulée jusqu’à son terme avec l’accord tacite puis exprès du garde des sceaux, ministre de la justice, comme cela ressort notamment des termes de la lettre du 3 février 2012 mentionnée au point 12 ci-dessus ; que cette irrégularité n’a pas davantage privé les personnes intéressées d’une garantie ; que, par suite, ce vice n’est pas de nature à entacher la légalité de la délibération et de la décision attaquées ».

En deuxième lieu, la cour évoque les conditions de recours au contrat de partenariat :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions 4) Article 2 de l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat : « I. – Les contrats de partenariat donnent lieu à une évaluation préalable, réalisée avec le concours de l’un des organismes experts créés par décret, faisant apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui conduisent la personne publique à engager la procédure de passation d’un tel contrat. Chaque organisme expert élabore, dans son domaine de compétences, une méthodologie déterminant les critères d’élaboration de cette évaluation dans les conditions fixées par le ministre chargé de l’économie. Cette évaluation comporte une analyse comparative de différentes options, notamment en termes de coût global hors taxes, de partage des risques et de performance, ainsi qu’au regard des préoccupations de développement durable. Lorsqu’il s’agit de faire face à une situation imprévisible, cette évaluation peut être succincte.
II. – Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l’évaluation, il s’avère :
1° Que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ;
2° Ou bien que le projet présente un caractère d’urgence, lorsqu’il s’agit de rattraper un retard préjudiciable à l’intérêt général affectant la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public, quelles que soient les causes de ce retard, ou de faire face à une situation imprévisible ;
3° Ou bien encore que, compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage. ».
que le recours au contrat de partenariat constitue une dérogation au droit commun de la commande publique, réservée aux seules situations répondant aux motifs d’intérêt général qui y sont définis ; que l’urgence, objectivement constatée, s’attachant à la réalisation d’un projet envisagé par l’Etat ou un établissement public est au nombre des motifs d’intérêt général de nature à justifier qu’il soit procédé à la conclusion d’un contrat de ce type ; qu’une telle urgence est peut notamment résulter de la nécessité de rattraper un retard, quelles qu’en soient les causes, affectant de façon préjudiciable à l’intérêt général la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public dans un secteur ou une zone géographique déterminés ; que constitue également un motif d’intérêt général justifiant le recours au contrat de partenariat la complexité du projet envisagé, lorsque celle-ci met objectivement la personne publique dans l’impossibilité de définir, seule et à l’avance, les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique propre à permettre la réalisation de ce projet ».

C’est ainsi l’occasion pour la cour de contrôler le recours au contrat de partenariat.

Sur l’urgence d’abord, elle la considère caractérisée :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, en particulier de l’évaluation préalable réalisée par l’EPPJP en application des dispositions précitées du I de l’article 2 de l’ordonnance du 17 juin 2004 susvisée, que la dispersion géographique des services du Tribunal de grande instance de Paris sur neuf sites différents, ainsi que la configuration et la vétusté du Palais de justice de l’Ile de la Cité, ne permettent pas un fonctionnement normal de cette juridiction, s’agissant tant des conditions matérielles dans lesquelles les magistrats, les agents du greffe et les avocats sont amenés à y exercer leurs fonctions que des exigences d’accessibilité, de sûreté et de sécurité des personnes et des biens requises dans les locaux qui lui sont affectés ; que, dès lors, le recours au contrat de partenariat pour la conception et la construction du nouveau palais de justice se trouve justifié par l’urgence qui s’attache à la nécessité de mettre fin à une situation particulièrement grave et préjudiciable à l’intérêt général affectant le bon fonctionnement du service public de la justice à Paris, sans que soient de nature à infirmer cette appréciation, d’une part, l’existence de travaux effectués ces dernières années en vue d’atténuer les difficultés ainsi constatées, ni, d’autre part, la circonstance que d’autres solutions que celle retenue auraient été envisageables pour tenter d’y remédier »,

Il en va de même pour la complexité du projet entrepris :

« Considérant, en outre, qu’il ressort des pièces du dossier que les dimensions exceptionnelles de l’ouvrage à réaliser, qui aura une surface de plus de 60 000 m² et abritera 90 salles d’audience, le nombre et la nature des juridictions qui y seront hébergées, impliquant notamment la présence du pôle anti-terroriste et la tenue de procès à forte résonance médiatique, et l’importante fréquentation du bâtiment, évaluée à près de 9 000 personnes par jour, incluant à la fois des magistrats, personnels de greffe, auxiliaires de justice et fonctionnaires de police, mais aussi de nombreux détenus, des journalistes et un large public, confèrent au projet envisagé une particulière complexité ; que celle-ci est encore accrue par les contraintes techniques et fonctionnelles induites par le choix, retenu par les pouvoirs publics, de la construction à Paris, dans une zone en cours d’aménagement sur d’anciennes emprises ferroviaires non viabilisées, d’un immeuble de très grande hauteur, dont il a notamment été décidé, de surcroît, qu’il devrait être exemplaire en matière de performance énergétique et de développement durable ; que, du fait de ces différentes caractéristiques, la réalisation de ce projet pose, en matière de sécurité et de sûreté, de performance acoustique et thermique, d’insertion de l’édifice dans son environnement, de maintenance et d’entretien des équipements, ainsi que de maîtrise des risques liés à un chantier d’une aussi grande ampleur, des difficultés telles que l’EPPJP a pu, sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur d’appréciation, estimer qu’il était nécessaire de recourir à un contrat global pour assurer la parfaite cohérence des solutions architecturales et techniques proposées par la maîtrise d’œuvre, les entreprises de construction et les entreprises d’exploitation et de maintenance ; que l’EPPJP soutient, sans être contredit, que certaines des réponses à ces difficultés, en ce qui concerne la sécurité incendie, l’évacuation des eaux, ainsi que le choix des matériaux de façade et des matériaux permettant l’isolation acoustique de la salle des pas perdus et de certaines salles d’audience, n’ont pu être apportées qu’après discussions, au cours de la procédure, entre les services de l’État, l’architecte et les entreprises chargées de la construction et de la maintenance de l’immeuble ; qu’il est ainsi établi que l’EPPJP était dans l’impossibilité de définir seul et à l’avance, y compris en recourant aux moyens mis à sa disposition par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), qui n’a jamais conduit une opération d’une telle ampleur, les moyens techniques permettant la réalisation du projet envisagé ».

Ainsi, si la cour administrative d’appel de Paris reconnaît l’intérêt à agir des requérants sur certaines des décisions dites « détachables », elle valide le recours au contrat de partenariat.

Affaire à suivre toutefois car l’assemblée générale de l’association « La Justice dans la Cité » entend se réunir dans le courant du mois de mai pour étudier les conditions d’un éventuel pourvoi devant le Conseil d’État 5) http://lajusticedanslacite.fr/.

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1. Ou d’un de ses actes détachables en ce qui concerne l’annulation.
2. TA Paris 17 mai 2013 association « LA JUSTICE DANS LA CITE » et M. B., n° 1206417, 1208605 et 1209054.
3. CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n°335033. On relévera l’approche identique initiée par le le Conseil d’Etat dans l’arrêt Tarn-et-Garonne (CE 4 avril 2014 Département Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).
4. Article 2 de l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat : « I. – Les contrats de partenariat donnent lieu à une évaluation préalable, réalisée avec le concours de l’un des organismes experts créés par décret, faisant apparaître les motifs de caractère économique, financier, juridique et administratif qui conduisent la personne publique à engager la procédure de passation d’un tel contrat. Chaque organisme expert élabore, dans son domaine de compétences, une méthodologie déterminant les critères d’élaboration de cette évaluation dans les conditions fixées par le ministre chargé de l’économie. Cette évaluation comporte une analyse comparative de différentes options, notamment en termes de coût global hors taxes, de partage des risques et de performance, ainsi qu’au regard des préoccupations de développement durable. Lorsqu’il s’agit de faire face à une situation imprévisible, cette évaluation peut être succincte.
II. – Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l’évaluation, il s’avère :
1° Que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ;
2° Ou bien que le projet présente un caractère d’urgence, lorsqu’il s’agit de rattraper un retard préjudiciable à l’intérêt général affectant la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public, quelles que soient les causes de ce retard, ou de faire face à une situation imprévisible ;
3° Ou bien encore que, compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage. ».
5. http://lajusticedanslacite.fr/

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