
Catégorie
Date
Temps de lecture
Cour des comptes, « La délivrance des permis de construire », rapport thématique – septembre 2024
Dans son dernier rapport thématique au titre éloquent, « La délivrance des permis de construire : un parcours complexe dans un cadre instable », la Cour des comptes se livre à une analyse critique de l’environnement réglementaire dans lequel s’inscrit la procédure de délivrance des autorisations du droit des sols et du parcours des pétitionnaires.
Corédigé avec les Chambres Régionales des Comptes (CRC) d’Auvergne-Rhône-Alpes et de Nouvelle-Aquitaine, ce rapport a été élaboré sur la base d’une cinquantaine d’auditions réalisées auprès des acteurs du secteur (élus, fédérations professionnels, urbanistes, architectes, avocats spécialisés, agences d’urbanisme…) et de questionnaires adressées à des collectivités (EPCI et communes) ainsi qu’à plusieurs préfectures. L’échantillon observé représentait ainsi 28 communes et leurs intercommunalités de rattachement.
1
S’agissant tout d’abord de l’examen du cadre légal et réglementaire, la juridiction financière constate que les règles inhérentes à l’élaboration des documents de planification tels que les plans locaux d’urbanisme (PLU(i)) et les schémas de cohérence territoriaux (SCoT) sont empreintes de complexité et sujettes à une évolution constante. Le contraste entre le temps long de la planification (entre 3 et 8 ans pour l’élaboration d’un PLUi par exemple), et le temps court des projets de construction est, selon elle, source de difficulté pour les élus et d’incompréhension pour les pétitionnaires dont le projet est parfois conditionné à une évolution du document applicable.
Le rapport souligne en outre la pluralité des législations et réglementations qui doivent être intégrées au stade de la planification et/ou de la délivrance des autorisations, prenant ainsi l’exemple de celles relatives aux risques naturels, aux obligations en matière de logements sociaux, aux objectifs issus du ZAN et aux protections patrimoniales.
La Cour des comptes déplore que cette complexité rende peu accessible le contenu des documents de planification au grand public, les pétitionnaires découvrant souvent leur existence à l’occasion de la mise en œuvre d’un projet de construire.
Enfin, l’enquête portait également sur le coût induit par l’élaboration des documents d’urbanisme locaux et nous apprend ainsi que les métropoles dépensent jusqu’à 9 M€ d’euros pour l’élaboration de leur PLUi, quand ce montant atteint plusieurs centaines de milliers d’euros pour des intercommunalités plus restreintes.
2
S’agissant plus précisément du parcours des demandeurs, le rapport fait état d’un manque de compétence des agents affectés aux services d’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme, qui contraste avec la technicité et l’instabilité de la réglementation qu’ils doivent appliquer.
Le rapport s’intéresse aussi longuement à la question de l’urbanisme « contractuel », qui se traduit par les échanges qu’impose l’administration aux pétitionnaires avant le dépôt de leur demande, sous la forme d’ateliers ou de comités, ou à travers l’adoption de documents « extra légaux » tels que les chartes d’urbanisme 1)Dans un jugement du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a considéré l’adoption d’une telle charte contraire au droit en vigueur « dès lors qu’elle a pour objet de créer une nouvelle norme s’imposant aux demandes d’autorisation d’urbanisme présentées par des opérateurs immobiliers, alors que seules les dispositions normatives prévues et encadrées par la loi peuvent réglementer l’instruction des autorisations d’urbanisme » : voir notre article sur TA Rouen 26 janvier 2023 Préfet de la Seine-Maritime c. commune de Bois-Guillaume, n° 2202586. ou les labels. Ces pratiques ont pour effet d’allonger les délais d’obtention des autorisations et d’alourdir les exigences qui pèsent sur les porteurs de projet dans un contexte immobilier peu favorable.
La Cour des comptes s’émeut du manque d’informations dont disposent les pétitionnaires quant aux différentes étapes qui jalonnent l’instruction : potentielle mise en œuvre de la « clause-filet » pouvant conduire à soumettre le projet à évaluation environnementale 2)R. 122-2-1 C. env. à un stade avancé, consultations obligatoires et facultatives, avis conforme du préfet… Les auteurs du rapport plaident également en faveur d’une plus grande transparence à l’égard du risque de retrait de l’autorisation prévu à l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, et de l’absence d’opposabilité d’un certificat d’urbanisme en raison par exemple de l’évolution défavorable de la réglementation relative aux risques 3)L’article L. 410-1 C. urb. précise en effet que la « cristallisation » offerte par le certificat à l’égard des dispositions d’urbanisme ne concerne pas les dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique..
Enfin, le rapport s’intéresse brièvement à la question du contentieux des autorisations d’urbanisme dont on observe qu’il concerne environ 2% du nombre total d’autorisations délivrées, représentant ainsi 10 000 nouveaux dossiers par an pour les juridictions administratives 4)Une augmentation de 10% du volume contentieux est observée depuis 2020.. Le contentieux représente là encore un coût pour les collectivités, même si celles interrogées se montrent peu enclines à dévoiler le montant de ce poste budgétaire 5)Seule une communauté d’agglomération a indiqué avoir dépense 100 000 euros au titre des frais de justice sur une période de sept ans (2015-2022)..
Le rapport s’achève par une série de recommandations destinées à améliorer, simplifier et sécuriser la procédure de délivrance dans l’intérêt des pétitionnaires. Ces recommandations portent notamment sur la professionnalisation des agents instructeurs, la garantie de délivrance d’un certificat de permis tacite à première demande, la prohibition des documents prescriptifs élaborés en dehors du cadre légal ou encore la résolution des dysfonctionnements qui affectent la dématérialisation des procédures.
References
1. | ↑ | Dans un jugement du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a considéré l’adoption d’une telle charte contraire au droit en vigueur « dès lors qu’elle a pour objet de créer une nouvelle norme s’imposant aux demandes d’autorisation d’urbanisme présentées par des opérateurs immobiliers, alors que seules les dispositions normatives prévues et encadrées par la loi peuvent réglementer l’instruction des autorisations d’urbanisme » : voir notre article sur TA Rouen 26 janvier 2023 Préfet de la Seine-Maritime c. commune de Bois-Guillaume, n° 2202586. |
2. | ↑ | R. 122-2-1 C. env. |
3. | ↑ | L’article L. 410-1 C. urb. précise en effet que la « cristallisation » offerte par le certificat à l’égard des dispositions d’urbanisme ne concerne pas les dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. |
4. | ↑ | Une augmentation de 10% du volume contentieux est observée depuis 2020. |
5. | ↑ | Seule une communauté d’agglomération a indiqué avoir dépense 100 000 euros au titre des frais de justice sur une période de sept ans (2015-2022). |