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CE 24 juillet 2025, req. n° 492005, mentionné aux tables du Rec. CE.
Par une décision du 24 juillet 2025, le Conseil d’Etat rejette le recours pour excès de pouvoir formé par la commune de Cambrai à l’encontre de certaines dispositions du fascicule du ministère de la transition écologique visant à préciser la mise en œuvre de la réforme ZAN d’ici à 2031.
1. La loi du 21 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aussi appelée loi « Climat et résilience», a fixé par son article 191 l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 : aussi appelé la « zéro artificialisation nette». Elle a également prévu, en son article 194, un objectif intermédiaire pour la période comprise entre 2021 et 2031 de réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) en comparaison avec la consommation de ces espaces lors de la précédente décennie.
Concernant l’analyse des différentes dispositions de la loi, un premier article de décryptage avait été publié sur le blog en septembre 2021.
2. Le 21 décembre 2023 dans le cadre de la mise en œuvre de la loi « Climat et Résilience», le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a publié sur son site internet le fascicule n° 1 « Définir et observer la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, et l’artificialisation des sols».
Dans certaines de ses dispositions, ce fascicule précise, d’une part, comment doit être mesurée la consommation effective d’espaces naturels, agricoles et forestiers et d’autre part, conditionne la prise en compte de ces espaces naturels, agricoles et forestiers au démarrage effectif des travaux.
Ces points portent sur deux dispositions législatives :
- aux termes du 5° du III de l’article 194 de la loi « la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers est entendue comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés sur le territoire concerné. Sur ce même territoire, la transformation effective d’espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers du fait d’une renaturation peut être comptabilisée en déduction de cette consommation » ;
- aux termes du II de l’article R. 101-1 du code de l’urbanisme, il est prévu que « Dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées est évalué au regard des catégories listées par la nomenclature annexée au présent article. / Pour cette évaluation, les surfaces sont qualifiées dans ces catégories selon l’occupation effective du sol observée et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d’urbanisme. »
En l’espèce, la commune de Cambrai demandait au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir ce fascicule ou, subsidiairement, d’en prononcer l’annulation en tant qu’il conduit :
- d’une part, à inclure dans le périmètre des espaces naturels, agricoles et forestiers certaines parcelles aujourd’hui situées en zones urbaines ; et
- d’autre part, à conditionner la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers au démarrage effectif de travaux à la date de publication de la loi « Climat et résilience ».
La commune de Cambrai estimait, en effet, que ce fascicule méconnaissait le sens et la portée des dispositions législatives susmentionnées en ce qu’il imposait une interprétation plus stricte du droit en vigueur.
Le Conseil d’Etat était ainsi appelé à se prononcer sur la question de savoir si ce fascicule était susceptible de produire des effets notables (i), s’il méconnaissait le sens et la portée des dispositions législatives en vigueur et notamment de l’article 194 de la loi « Climat et résilience » (ii) et enfin si la définition de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers contenue dans le fascicule créait une rupture d’égalité entre les collectivités territoriales (iii).
(i) La Haute juridiction reconnaît d’abord que ce fascicule, destiné à l’ensemble des acteurs responsables de la mise en œuvre de cette réforme, notamment les services de l’Etat et les collectivités, « fait le point sur le droit en vigueur et illustre les dispositions législatives et réglementaires à prendre en compte ».
Cependant, en ne se contentant pas de rappeler les dispositions législatives définissant la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers mais en exposant « de manière impérative l’interprétation de celles-ci retenue par l’administration » 1)CE 18 décembre 2002 Dame Duvignères, req. n° 233618 : Rec CE., ces énonciations peuvent être regardées comme susceptibles d’emporter des effets notables sur la situation des collectivités territoriales compétentes en matière d’urbanisme et chargées de mettre en œuvre les objectifs prévus par l’article 194 de la loi « Climat et résilience ».
Elles sont, dès lors, susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
(ii) Le Conseil d’Etat s’intéresse ensuite à la légalité des mentions contestées. En effet, la commune de Cambrai soutenait que :
- en indiquant que la mesure de la consommation effective d’espaces naturels, agricoles et forestiers est indépendante du zonage réglementaire des plans locaux d’urbanisme intercommunaux ou des cartes communales, le fascicule donnait une interprétation de la première phrase du 5° du III de l’article 194 qui en méconnaissait le sens et la portée : le Conseil d’Etat rejette cet argumentaire au motif que les dispositions législatives précisent que la qualification des surfaces dépendent de l’occupation effective du sol.
Dès lors, la simple appartenance d’un espace à une zone urbaine, ne suffit pas à exclure que cette parcelle puisse, eu égard à ses caractéristiques et à son usage, être qualifiée d’espace naturel, agricole et forestier.
- en indiquant qu’un espace naturel, agricole et forestier doit être considéré comme effectivement consommé à compter du démarrage effectif des travaux de construction et d’aménagement, et non à compter de la seule délivrance d’une autorisation d’urbanisme, le fascicule donnait une interprétation de la loi qui en méconnaissait le sens et la portée : le Conseil d’Etat rejette également cet argumentaire au motif qu’il résulte des dispositions législatives que « le législateur a entendu définir la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers comme la création ou l’extension effectives d’espaces urbanisés ».
C’est le critère d’effectivité qui justifie que seule la transformation concrète de l’occupation du sol puisse être regardée comme une consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers.
Le Conseil d’Etat écarte ainsi le moyen tiré de l’illégalité des mentions contestées.
(iii) Enfin, la Haute juridiction était également appelée à se prononcer sur le moyen tiré de la rupture d’égalité entre les collectivités territoriales que la définition de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers contenue dans le fascicule créerait.
De nouveau, le Conseil d’Etat écarte le moyen qu’il estime inopérant en ce que les mentions litigieuses n’emportent pas, par elles-mêmes, d’incidences sur la répartition entre collectivités des objectifs de réduction de la consommation des espaces agricoles, naturels et forestiers.
Le Conseil d’Etat rejette la demande d’annulation pour excès de pouvoir des dispositions du fascicule attaquées par la commune de Cambrai.
References
| 1. | ↑ | CE 18 décembre 2002 Dame Duvignères, req. n° 233618 : Rec CE. |