Irrégularité d’une autorisation délivrée par un préfet de département dont l’instruction a été réalisée par le même service que celui ayant préparé l’avis du préfet de région, agissant en tant qu’autorité environnementale

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

February 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 5 février 2020 Association « Des évêques aux cordeliers » et autres, req. n° 425451 : mentionné dans les tables du Rec. CE

Cet arrêt précise les nombreuses décisions du Conseil d’Etat rendues sur l’autonomie nécessaire de l’autorité environnementale 1)Voir en particulier ces décisions commentées sur notre blog : CE 6 décembre 2017 Association France Nature Environnement req. n° 400559 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – CE Avis 27 septembre 2018, req. n° 420119 : publié au Rec. CE. – CE 27 mai 2019 Société MSE La Tombelle, req. n°420554 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – CE 20 septembre 2019 Association Sauvons le paradis et autres, req. n° 428274 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – ainsi que la décision CE 22 octobre 2018 req. n° 406746 : mentionné dans les tables du Rec. CE., et notamment les conditions dans lesquelles cette autonomie est respectée lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région compétent pour délivrer l’avis environnemental.

  1. Le contexte du pourvoi

L’association « Des évêques aux cordeliers » et d’autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Besançon d’annuler l’arrêté du 16 octobre 2014 par lequel le préfet de la Haute-Saône a autorisé la société Res à exploiter un parc de dix éoliennes sur les territoires des communes d’Andelarre, Baignes, Mont-le-Vernois et Rosey.

Après le rejet de leur requête par le tribunal, les requérants ont saisi la cour administrative d’appel de Nancy. Ils alléguaient devant elle que l’avis de l’autorité environnementale qui avait été rendu sur le projet contesté était vicié. Ils soutenaient en effet que l’avis n’avait pas été préparé par un service disposant d’une autonomie réelle par rapport au service ayant instruit la demande d’autorisation.

Or, dans un tel cas, l’avis serait contraire à la directive du 13 décembre 2011 qui a pour finalité de garantir qu’une autorité compétente et objective en matière d’environnement soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, avant leur autorisation, afin de concourir à ce que l’autorité compétente pour délivrer cette autorisation appréhende correctement ces incidences sur la base d’informations fiables et exhaustives.

Appliquant la décision Seaport du 20 octobre 2011 de la Cour de justice de l’Union européenne 2)Selon la CJUE, les dispositions de la directive du 13 décembre 2011 ne font pas obstacle à ce que l’autorité compétente pour autoriser le projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale dès lors qu’ « une séparation fonctionnelle [est] organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné » (CJUE 20 octobre 2011 Seaport req. n° C-474/10)., la cour affirme que la poursuite de cette finalité ne faisait nullement obstacle à ce que l’autorité chargée de rendre l’avis soit, en outre, chargée d’instruire la demande d’autorisation, dès lors que l’accomplissement de cette tâche ne la privait pas de son autonomie vis-à-vis de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation.

Ainsi, selon la cour administrative d’appel de Nancy, les exigences de la directive du 13 décembre 2011 n’auraient pas été méconnues en l’espèce puisque le préfet du département ayant délivré l’autorisation et le préfet de la région, compétent pour rendre l’avis, sont distincts, et ce « y compris lorsque les services du préfet de la région, dont l’autonomie réelle vis-à-vis du préfet du département n’est pas discutable, assurent, en outre, l’instruction de la demande d’autorisation » 3)Cf. CAA Nancy 4 octobre 2018 Association « Des évêques aux cordeliers et autres », req. n° 17NC01857.

Les requérants ont alors décidé de former un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat à l’encontre de cet arrêt.

  1. La décision du Conseil d’Etat

Encore plus affirmatif que dans sa décision précédente du 20 septembre 2019 4)CE 20 septembre 2019 Association Sauvons le paradis et autres req. n° 428274 : mentionné dans les tables du Rec. CE. , le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que lorsque le préfet de région est l’autorité compétente pour autoriser le projet, si la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable peut être regardée comme disposant, à son égard, d’une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n’en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

Ensuite, s’agissant du cas où un projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, la Haute Juridiction considère que l’avis rendu sur ce projet par le préfet de région en tant qu’autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d’une autonomie réelle répondant aux exigences de la directive du 13 décembre 2011. A l’inverse de la cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat a cependant jugé que tel n’est pas le cas lorsque c’est exactement le même service qui a à la fois instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale. Il n’y a en effet pas de réelle autonomie lorsque deux autorités distinctes délivrent sur le fondement de travaux préparés par le même service, d’une part, l’avis environnemental et, d’autre part, l’autorisation sollicitée.

Or, en l’espèce, il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges que l’avis du préfet de région, agissant en tant qu’autorité environnementale, et l’instruction de la demande d’autorisation avaient été préparés par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Dès lors, l’avis environnemental n’avait pas été rendu par une autorité disposant d’une autonomie réelle par rapport à celle ayant délivrée l’autorisation. Le Conseil d’Etat a donc suivi l’argumentation des requérants et a conclu que les exigences d’autonomie de l’autorité environnementale découlant de la directive du 13 décembre 2011 avaient été méconnues en l’espèce.

Pour ces motifs, le Conseil d’Etat a décidé d’annuler l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel de Nancy pour erreur de droit et a renvoyé l’affaire devant cette cour.

Notons qu’un projet de décret est en cours d’adoption pour confier aux seules Missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) 5)Le Conseil d’Etat a déjà jugé que ces entités devaient être regardées comme disposant d’une autonomie réelle, les mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui leur est confiée et de donner un avis objectif sur les projets, plans et programmes qui leur sont soumis : Décision également commentée au sein de notre blog : CE 9 juillet 2018 Commune de Villiers-le-Bâcle req. n° 410917, mentionné dans les tables du Rec. CE. ; et également commentée sur notre blog : CE 27 mai 2019 Société MSE La Tombelle req. n°420554, mentionné dans les tables du Rec. CE. le soin de rendre les avis qui relevaient précédemment de la compétence des préfets de région. Le projet de décret fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 28 février 2020 et a pour objet de conformer la réglementation française à la directive européenne du 3 décembre 2011. En effet, pour mémoire, le Conseil d’Etat avait annulé les dispositions du précédent décret, et en particulier l’article R. 122-6 du code de l’environnement, qui prévoyaient que, dans certains cas, l’autorité environnementale compétente pour délivrer un avis sur un projet était le préfet de région, alors qu’il pouvait également être l’autorité chargée d’autoriser le projet. Selon la décision du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 6)Décision commentée sur de notre blog : CE 6 décembre 2017 Association France Nature Environnement req. n° 400559 : mentionné dans les tables du Rec. CE., dans une telle situation, le préfet de région ne pouvait pas être considéré comme une autorité disposant d’une autonomie et d’une compétence suffisante pour rendre un avis compatible avec les objectifs de la directive du 13 décembre 2011.

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References   [ + ]

1. Voir en particulier ces décisions commentées sur notre blog : CE 6 décembre 2017 Association France Nature Environnement req. n° 400559 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – CE Avis 27 septembre 2018, req. n° 420119 : publié au Rec. CE. – CE 27 mai 2019 Société MSE La Tombelle, req. n°420554 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – CE 20 septembre 2019 Association Sauvons le paradis et autres, req. n° 428274 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – ainsi que la décision CE 22 octobre 2018 req. n° 406746 : mentionné dans les tables du Rec. CE.
2. Selon la CJUE, les dispositions de la directive du 13 décembre 2011 ne font pas obstacle à ce que l’autorité compétente pour autoriser le projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale dès lors qu’ « une séparation fonctionnelle [est] organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné » (CJUE 20 octobre 2011 Seaport req. n° C-474/10).
3. Cf. CAA Nancy 4 octobre 2018 Association « Des évêques aux cordeliers et autres », req. n° 17NC01857
4. CE 20 septembre 2019 Association Sauvons le paradis et autres req. n° 428274 : mentionné dans les tables du Rec. CE.
5. Le Conseil d’Etat a déjà jugé que ces entités devaient être regardées comme disposant d’une autonomie réelle, les mettant en mesure de remplir la mission de consultation qui leur est confiée et de donner un avis objectif sur les projets, plans et programmes qui leur sont soumis : Décision également commentée au sein de notre blog : CE 9 juillet 2018 Commune de Villiers-le-Bâcle req. n° 410917, mentionné dans les tables du Rec. CE. ; et également commentée sur notre blog : CE 27 mai 2019 Société MSE La Tombelle req. n°420554, mentionné dans les tables du Rec. CE.
6. Décision commentée sur de notre blog : CE 6 décembre 2017 Association France Nature Environnement req. n° 400559 : mentionné dans les tables du Rec. CE.

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