Office du juge des référés saisi d’une demande de suspension d’un permis : obligation de vérifier que la demande est antérieure au délai de cristallisation des moyens et faculté d’instruire une QPC après la clôture de l’instruction sans rouvrir l’instruction

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

May 2023

Temps de lecture

5 minutes

CE 14 avril 2023 Mme G…n° 460040 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par une décision du 14 avril 2023, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat, qui a récemment également jugé que le « référé étude d’impact » visé par l’article L. 122-2 du code de l’environnement devait, à peine d’irrecevabilité, être introduit avant le délai de cristallisation des moyens en vertu de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme malgré l’intervention d’un jugement avant dire droit constatant l’absence d’étude d’impact (CE 17 avril 2023 Commune de Mérignac – Stade Nautique Mérignac, req. n° 468789cf. notre commentaire), a apporté d’autres précisions sur les conditions d’application de cet article.

En effet, il a jugé qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande de suspension d’une des autorisations d’urbanisme visées à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, de vérifier d’office  que cette demande a été introduite avant l’expiration du délai de cristallisation des moyens.

Il a également implicitement admis qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) puisse être présentée et instruite après la clôture de l’instruction sans qu’il soit pour autant nécessaire de rouvrir l’instruction sur le litige.

Dans cette affaire, la requérante avait saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon afin de demander, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution d’une décision implicite de refus de retrait d’un arrêté de délivrance d’un permis de construire modificatif et de cet arrêté. Par une ordonnance du 17 décembre 2021, le juge des référés avait rejeté cette demande pour défaut d’urgence. La requérante s’est donc pourvue en cassation contre celle-ci.

Le Conseil d’Etat a tout d’abord fait droit au pourvoi et annulé l’ordonnance attaquée en estimant que les motifs en vertus desquels le tribunal administratif avait rejeté, pour défaut d’urgence, la demande de suspension de l’exécution du permis litigieux étaient erronés.

D’une part, il a estimé que pour retenir le défaut d’urgence, le juge des référés ne pouvait se fonder sur la circonstance selon laquelle la demande de suspension de permis de construire présentée par la requérante avait été déposée tardivement au regard de la date d’introduction de son recours au fond. Un tel motif ne serait pas de nature à renverser la présomption d’urgence attachée à une demande de suspension de l’exécution d’un permis de construire présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, prévue à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme. D’autre part, le Conseil a estimé que le juge des référés ne pouvait pas non plus se fonder sur le fait que les désagréments que causait le permis attaqué à la requérante étaient « très peu susceptibles d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de son bien » dès lors que se faisant, il avait fait peser sur elle la charge d’établir l’urgence à suspendre l’exécution du permis litigieux et ainsi commis une erreur sur la charge de la preuve dès lors qu’en cette matière l’urgence est présumée.

Cependant, le Conseil d’Etat a par la suite rejeté la demande en référé suspension de la requérante.

Ce rejet était raisonnablement prévisible. En effet, postérieurement à la clôture de l’instruction, le Conseil d’Etat avait déjà prévenu la requérante de ce que sa décision était susceptible d’être fondée sur le moyen relevé d’office tiré de ce que sa requête en référé suspension était susceptible d’être rejetée comme irrecevable sur le fondement de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme dès lors qu’elle avait été présentée après l’expiration du délai de cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort.

Néanmoins, en réaction à cet avertissement, la requérante a soulevé une QPC à l’encontre des deux premiers alinéas de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme qui porteraient, selon elle, une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit de propriété.

Le Conseil d’Etat a accepté d’instruire cette QPC présentée – par mémoire distinct – après la clôture de l’instruction.

Il a ainsi implicitement estimé que la circonstance que le juge informe les parties après la clôture de l’instruction, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, que sa décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office, constitue une circonstance nouvelle de nature à justifier que la QPC, soulevée par l’une des parties en réaction à cette information, soit mise à l’instruction.

Pour autant, si le Conseil d’Etat a accepté de mettre à l’instruction cette QPC, il n’a pas rouvert l’instruction sur le litige.

Notons que la réouverture de l’instruction n’est de droit que lorsque l’une des parties présente une circonstance de fait ou un élément de droit nouveau dont elle n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire (CE 25 janvier 2021 Madame C… contre le Centre hospitalier de Lagny Marne-la-Vallée req. n° 425539).

Le Conseil d’Etat avait déjà consenti d’instruire une QPC présentée avant même l’admission du pourvoi auquel elle était associée (CE 2 mars 2011 Société Soutiran et compagnie req. n° 342099) ou au moment de la production d’une note en délibéré (CE 28 janvier 2011 req. n° 338199)

En tout état de cause, le Conseil d’Etat a écarté le caractère sérieux de la QPC soulevée par la requérante en reprenant la même motivation que celle mobilisée dans sa décision « M. B… » du 22 juillet 2020 par laquelle il avait déjà refusé de transmettre une QPC dirigée contre le premier alinéa de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme (CE 22 juillet 2020 M. B… req. n° 440681). En l’absence de caractère sérieux, ou nouveau, de cette question de constitutionnalité, le Conseil d’Etat a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel et écarté le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Ayant écarté cet obstacle constitutionnel, le Conseil d’Etat a ensuite pu tirer les conséquences de ce que la demande en référé suspension de la requérante avait été introduite devant le tribunal administratif de Toulon après le délai de cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort et la déclarer irrecevable en vertu des dispositions de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme.

Se faisant, le Conseil a apporté des précisions importantes sur l’office du juge des référés saisi d’une demande de suspension d’un des actes visés à l’article L. 600-3 précité.

On le sait de jurisprudence constante, le juge administratif est tenu de relever d’office un élément qui ressort manifestement des pièces du dossier au vu duquel elle statue (CE 6 janvier 1928 Sieur Grainetier n° 90873, CE 21 octobre 1959 Sieur Korsec n° 39618, a contrario CE 1er mars 1972 Ducreux req. n° 81546).

Le Conseil d’Etat va plus loin dans l’arrêt commenté puisqu’il n’a pu identifier l’irrecevabilité de la demande de suspension de la requérante qu’après avoir vérifié auprès des juges du fond saisis en premier ressort du recours pour excès de pouvoir, que le délai de deux mois suivant la production du premier mémoire en défense était expiré lors de l’introduction du référé suspension.

Ainsi, le juge des référés est tenu de vérifier d’office si la demande de suspension a bien été introduite avant l’expiration du délai de cristallisation des moyens en analysant la chronologie de la procédure dans l’instance au fond engagée par le requérant.

 

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser