Office du juge en cas d’annulation d’une décision de préemption en zone naturelle : la rétrocession n’est pas automatique !

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

October 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 28 septembre 2020 Département de la Loire Atlantique, req. n° 430951 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

La décision commentée est le pendant en matière de préemption en zone naturelle de l’arrêt « Ville de Paris » commenté sur notre blog et rendu en matière de droit de préemption général.

En effet, à l’instar de ce qu’elle a fait dans la décision Ville de Paris 1)Conseil d’Etat, 28 septembre 2020, Ville de Paris, n°436978, la Haute juridiction précise ici l’office du juge de l’exécution en cas d’annulation d’une décision de préemption prise dans le cadre du régime spécial applicable en zone naturelle sensible et juge que dans ces hypothèses la rétrocession n’est pas non plus automatique.

Contexte

Par une décision en date du 20 février 2014, le département de la Loire-Atlantique a décidé de préempter un ensemble de parcelles cadastrées situées au lieu-dit l’île aux Moines à Ancenis, sur le fondement des articles L. 142-1 et L. 142-3 du Code de l’urbanisme alors en vigueur, qui instituent un droit de préemption urbain au profit des départements dans les espaces naturels sensibles

L’acquéreur évincé a alors formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision tendant à son annulation et demandait également via une question prioritaire de constitutionnalité, à ce que les articles L. 142-1 et L. 142-3 du Code de l’urbanisme alors en vigueur soient déclarés contraires au droit de propriété, à la liberté contractuelle, au droit de former un recours effectif tels que garanties par la Constitution du 4 octobre 1958, et que soit reconnue la violation de sa compétence par le législateur lors de l’adoption de ces dispositions.

Après avoir obtenu l’annulation de la procédure de préemption en première instance pour insuffisance de motivation, le requérant avait vu rejeter ses demandes de transmission de sa question prioritaire de constitutionnalité par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel de Nantes. Il n’avait pu, en parallèle, obtenir de mesure d’exécution visant à se voir proposer la vente des terrains préemptés par le Département de la Loire-Atlantique.

Il a alors saisi le Conseil d’Etat en cassation.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat rejette la demande de QPC et juge que c’est à bon droit que les juges du fond ont rejeté la demande de l’acquéreur évincé tendant à ce qu’il soit enjoint au département de lui proposer l’acquisition du terrain.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

Le Conseil d’Etat commence par rappeler l’objectif poursuivi par les articles L. 142-1, et L. 142-3 du Code de l’urbanisme, à savoir la protection des paysages et milieux naturels classés en zone de préemption et l’ouverture au public de ces espaces, le tout dans le cadre d’une politique coordonnée du département qui ne saurait être pareillement mise en œuvre du fait d’initiatives privées. Il affirme par ailleurs que les décisions de préemption doivent elles-mêmes répondre aux objectifs de cette politique et être justifiées par la protection des parcelles en cause et leur ouverture ultérieure au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n’y fassent pas obstacle.

A défaut d’affectation des terrains préemptés dans un délai déterminé, l’acquéreur initial doit normalement se voir proposer le rachat des terrains dans un délai déterminé, en vertu de l’article L. 142-8 du Code de l’urbanisme.

Il juge que l’objectif d’intérêt général attaché à la protection des espaces et milieux naturels en zone de préemption, leur ouverture maîtrisée au public, ainsi que la précision de la définition de ces objectifs « ne portent pas au droit de propriété et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif qu’ils poursuivent et ne méconnaissent pas, dans des conditions affectant ce droit ou cette liberté, la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété ».

Sur la violation du droit à un recours effectif, le Conseil d’Etat rappelle qu’il est loisible au requérant, en cas d’annulation d’une décision de préemption pour laquelle il était intéressé, de demander le rachat des terrains dans des conditions sur lesquelles nous reviendrons ci-après, ou, à tout le moins, d’engager la responsabilité de la personne publique titulaire du droit de préemption pour compenser le préjudice subi du fait de l’illégalité de la procédure de préemption mise en œuvre.

Dans ces conditions, le régime de préemption dans les espaces naturels ne méconnait pas le droit au recours effectif.

Sur le défaut d’obligation de rétrocession

Sur la légalité du refus de se voir proposer l’achat des terrains tels qu’il était initialement prévu, le Conseil d’Etat adopte cette fois-ci une solution innovante, justifiée par l’objectif d’intérêt général attaché à la protection des zones naturelles sensibles. En effet, le seul intérêt écologique de ces zones justifie qu’elles soient classées en zone de préemption par l’autorité administrative gestionnaire 2)Conseil d’Etat, 30 avril 2014, n°360794 ; le Conseil d’Etat considère ainsi que la question de leur rétrocession devait nécessairement passer par le filtre de ce même intérêt écologique.

Selon la Haute Juridiction, il appartient au juge de l’exécution de contrôler la proportionnalité de la décision de refus de rétrocéder le bien dont la décision de préemption a été annulé.

« il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou par l’acquéreur évincé et après avoir mis en cause l’autre partie à la vente initialement projetée, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le juge de l’excès de pouvoir, d’une décision de préemption. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général s’attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s’il ne l’a pas entre temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l’ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l’acquéreur évincé d’acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle. ».

Ainsi, le juge de l’exécution doit en principe proposer le rachat des terrains objets du droit de préemption à l’ancien propriétaire puis à l’acquéreur évincé sauf à ce qu’une telle rétrocession porte une « atteinte excessive » à l’intérêt général.

Or, une telle atteinte peut être caractérisée, selon le Conseil d’Etat, par la mise en œuvre des objectifs prévus à l’article L. 142-1 du Code de l’urbanisme : en effet, les terrains d’espèce initialement préemptés, situés sur l’île aux Moines étaient situés «  en zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 et 2, ainsi qu’en zone Natura 2000, au titre des directives habitat et oiseaux, que les préemptions s’inséraient dans un plan plus large de protection de l’environnement et de préservation des ressources et des milieux naturels des îles de Loire, poursuivi et mis en oeuvre par le département, qui avait également acquis une autre de ces îles, que depuis l’acquisition des parcelles préemptées, le département avait organisé des visites dites ” nature ” à destination du public et mis en pâturage respectueux de l’environnement les terres de l’île et qu’il projetait la restauration d’une chapelle, d’un hospice et d’un four à chanvre ayant appartenu à l’ordre des Franciscains cordeliers, en vue de la sauvegarde de ce patrimoine historique local ».

En l’espèce, les objectifs d’intérêt général tels que définis par le Conseil d’Etat ressortent donc de :

  • la conjugaison de l’objectif de préservation des milieux, espaces et ressources naturels initialement préemptés ;
  • l’ouverture maîtrisée au public de ces espaces ;
  • la restauration d’une chapelle, d’un hospice et d’un four à chanvre ayant appartenu à l’ordre des Franciscains cordeliers.

Dans une troisième décision du même jour, le Conseil d’Etat a par ailleurs renforcé le droit de l’acquéreur évincé à pouvoir prétendre obtenir les immeubles dont il projetait initialement l’achat, en jugeant que quand bien-même son nom ne figurait pas sur la déclaration d’intention d’aliéner, et en l’absence d’un motif d’intérêt général y faisant obstacle, ce dernier pouvait demander au juge de l’exécution à ce qu’il soit enjoint à la collectivité de lui proposer le rachat des immeubles en cause 3)Conseil d’Etat, 28 septembre 2020, n°432063.

Dans son œuvre jurisprudentielle, la Haute juridiction administrative semble ainsi définir un nouvel équilibre entre les droits du justiciable et les objectifs d’intérêt général attachés au droit de préemption.

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