Pollution de l’air : le Conseil d’Etat passe à la vitesse supérieure en liquidant l’astreinte de 10 millions d’euros à laquelle l’Etat avait été condamné

Catégorie

Environnement

Date

September 2021

Temps de lecture

7 minutes

CE 4 août 2021 Association Les amis de la Terre France, req. n° 428409 : publié au recueil Lebon

Un peu plus d’un an après avoir prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre à l’encontre de l’Etat tant qu’il n’aura pas pris les mesures qui lui ont été ordonnées en termes de pollution de l’air 1)Faisant suite à une première décision du 12 juillet 2017 enjoignant à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour garantir la qualité de l’air dans treize zones du territoire (CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254)., le Conseil d’Etat prend une décision très forte en liquidant cette astreinte.

Cette décision marque un tournant dans ce contentieux « climatique » engagé depuis de nombreuses années à l’initiative de l’association Les Amis de la Terre. Revenons tout à tour sur le cadre juridique et la procédure contentieuse antérieure (1) puis sur la liquidation de cette astreinte historique (2).

1.    Bref rappel du cadre juridique et de la procédure contentieuse anterieure

Pour rappel, c’est la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe qui prévoit que les Etats membres doivent établir des zones afin d’évaluer et de gérer la qualité de l’air ambiant et qui fixe notamment des niveaux à ne pas dépasser dans ces zones :

  • les niveaux de particules fines PM10 dans l’air ambiant ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile et 50 µg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile ;
  • les niveaux de dioxyde d’azote ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile, au plus tard à compter du 1er janvier 2010.

En cas de dépassement de ces valeurs limites, les Etats membres doivent établir des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant « des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible ».

Les dispositions de cette directive ont été transposées en droit interne aux articles L. 221-1 et suivants et R. 221-1 et suivants du code de l’environnement.

Par une décision du 12 juillet 2017 2)CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254., le Conseil d’Etat a fait droit aux demandes de l’association tendant à ce que l’Etat se conforme aux exigences de la directive européenne sur la qualité de l’air. Pour ce faire, le Conseil d’Etat avait demandé à ce que « le premier ministre et le ministre chargé de l’environnement prennent toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air (…) permettant de ramener, dans ces zones, les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible ». Les autorités susmentionnées disposaient alors d’un délai allant jusqu’au 31 mars 2018 pour élaborer ces plans et les transmettre à la commission européenne.

Par une décision du 10 juillet 2020 3)CE 10 juillet 2020 Association les Amis de la Terre France et autres, req. n° 428409 : publié au recueil Lebon – décision commentée sur notre Blog., le Conseil d’Etat avait estimé que l’Etat n’avait pas pleinement exécuté la décision du 12 juillet 2017 en ce qu’il n’a pas pris les mesures suffisantes pour ramener les niveaux de concentration des polluants en deçà des valeurs limites dans le délai le plus court possible.

En conséquence, le Conseil d’Etat sur le fondement de l’article L.911-3 du code de justice administrative (CJA) avait décidé de prononcer une astreinte pour contraindre le gouvernement français d’exécuter sa décision en date du 12 juillet 2017.

En adoptant déjà une position très nette en faveur du respect de l’environnement et des dispositions précitées, la Haute Juridiction avait décidé « de prononcer contre l’Etat à défaut pour lui de justifier de cette exécution complète dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution ».

2.    La liquidation de l’astreinte la plus élevée de l’histoire du contentieux administratif

2.1

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 911-7 du code de justice administrative relative à la liquidation des astreintes, le Conseil d’Etat juge que :

« Afin d’assurer l’exécution de ses décisions, la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties sur le fondement de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, soit ultérieurement en cas d’inexécution de la décision sur le fondement des articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code. En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de la décision, la juridiction procède, en vertu de l’article L. 911-7 de ce code, à la liquidation de l’astreinte. En vertu du premier alinéa de l’article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d’éviter un enrichissement indu, qu’une fraction de l’astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa prévoyant que cette fraction est alors affectée au budget de l’État. Toutefois, l’astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’Etat est débiteur de l’astreinte en cause. Dans ce dernier cas, lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’Etat et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet ».

Pour prononcer la liquidation de l’astreinte et les personnes morales qui vont en bénéficier, le Conseil d’Etat va examiner si les décisions de 2017 et 2020 ont été exécutées en évaluant l’évolution des concentrations en polluants puis en appréciant les mesures adoptées par le gouvernement.

2.2

S’agissant de l’évolution des concentrations en polluants, le Conseil d’Etat estime ainsi que les taux de particules fines et de dioxyde d’azote sont toujours au-dessus des seuils limites autorisés. La Haute Juridiction relève toutefois une amélioration générale des taux puisque seules 5 zones « ont encore enregistré un taux de dioxyde d’azote supérieures aux seuils limites (Paris, Lyon, Marseille-Aix, Toulouse et Grenoble) et une concernant les particules fines (Paris) » 4)Communiqué de presse du Conseil sur la décision CE 4 août 2021 Association Les amis de la Terre France, req. n° 428409.. Cette amélioration ne suffira toutefois pas.

Plus précisément, concernant les taux de concentration de dioxyde d’azote, le Conseil d’Etat relève que « si la moyenne annuelle de concentration de ce polluant a diminué entre 2017 et 2019, la valeur limite de concentration de 40 μg/m3 en moyenne annuelle civile (…) dans au moins une station de mesure de chacune de ces zones en 2019 ».

Pour ce qui est des taux de particules fines, deux zones administratives de surveillance (« ZAS ») étaient encore concernées par l’astreinte prononcée en 2017. Alors que la ZAS de Fort-de-France ne connaît « plus aucun dépassement » des valeurs limites sur les années 2019 et 2020, la ZAG de Paris (zone à risques – agglomération) a connu un dépassement de « la valeur limite de concentration de 40 μg/m3 en moyenne annuelle (…) dans une station de mesure de même que la valeur limite de 50 µg/m3 en moyenne journalière a été dépassée plus de 35 fois dans la même station ».

Le Conseil d’Etat souligne d’ailleurs que les données relatives à une diminution des taux de concentrations des polluants doivent « être replacées dans le contexte des multiples mesures de gestion de la crise sanitaire prises depuis mars 2020 ».

Il juge ainsi que « les ZAG Lyon, Paris, Aix-Marseille, Grenoble et Toulouse Midi-Pyrénées, soit présentent encore un dépassement de la valeur limite fixée à l’article R. 221-1 du code de l’environnement, soit ne peuvent être regardées comme présentant une situation de non-dépassement consolidée ».

S’agissant des mesures prises par le gouvernement depuis la décision du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat ajoute que ces dernières « devraient avoir pour effet de poursuivre l’amélioration de la situation ».

Cependant, les « incertitudes entourant l’adoption ou les conditions de mise en œuvre de certaines d’entre elles ainsi que l’absence d’évaluation fiable de leurs effets (…) ne permettent pas (…) de considérer qu’elles seront de nature à mettre un terme aux dépassement constatées (…) ».

2.3

En conséquence, se fondant sur l’article L. 911-7 du CJA, le Conseil d’Etat décide qu’« il y a lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte ainsi prononcée pour la période du 11 janvier au 11 juillet 2021 inclus, sans en modérer ou en majorer le taux ».

Pour rappel, le montant de l’astreinte fixé à 10 millions d’euros par le Conseil d’Etat dans sa décision en date du 10 juillet 2020 est le plus élevé qui n’ait jamais été imposé pour contraindre l’Etat à exécuter une décision prise par le juge administratif. Son montant était calculé au regard :

  • du délai écoulé depuis l’intervention de la décision dont l’exécution est demandée ;
  • à l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne ;
  • à la gravité des conséquences du défaut partiel d’exécution en termes de santé publique et à l’urgence particulière qui en découle.

Cependant, le montant élevé de l’astreinte ne doit pas être considéré comme une « nouvelle normalité (…). Ce qui est normal et qui doit le rester, c’est que les destinataires des décisions du juge administratif les exécutent » 5)Conclusions du rapporteur public sous CE 10 juillet 2017 association Les amis de la Terre,  req. n° 428409.. Mais, le montant historiquement haut de l’astreinte pourrait être de nouveau fixé ou dépassé lorsque le Conseil d’Etat évaluera de nouveaux les actions du gouvernement pour le second semestre de l’année 2021 au début de l’année 2022. De sorte que d’autres mesures devront être prises sauf à encourir de nouvelles sanctions financières lourdes.

2.4

Enfin, le Conseil d’Etat qui jugeait pour la première fois dans sa décision du 10 juillet 2020 que la partie restante de l’astreinte pourra être versée à des personnes morales de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’Etat et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet, a retenu :

  • deux établissements publics à caractère industriel et commercial (L’institut Nationale de l’Environnement Industriel et des Risques (« INERIS ») et l’Agence de la Transition Ecologique ),
  • deux établissements publics administratifs (Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), et
  • quatre associations agrées de surveillance de la qualité de l’air (Air Parif, Atmo Auvergne Rhône-Alpes, Atmo Occitanie et Atmo Sud) pour être les bénéficiaires du montant restant de l’astreinte.

Affaire à suivre !

 

 

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References   [ + ]

1. Faisant suite à une première décision du 12 juillet 2017 enjoignant à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour garantir la qualité de l’air dans treize zones du territoire (CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254).
2. CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254.
3. CE 10 juillet 2020 Association les Amis de la Terre France et autres, req. n° 428409 : publié au recueil Lebon – décision commentée sur notre Blog.
4. Communiqué de presse du Conseil sur la décision CE 4 août 2021 Association Les amis de la Terre France, req. n° 428409.
5. Conclusions du rapporteur public sous CE 10 juillet 2017 association Les amis de la Terre,  req. n° 428409.

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