Régime des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution et n’ayant pas été ratifiées

Catégorie

Droit administratif général, Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

July 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 1er juillet 2020 Conseil national de l’Ordre des architectes, req. n° 429132

Cons. const. 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC

Le régime des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution mais non ratifiées à l’issu du délai d’habilitation fait l’objet d’une saga en trois étapes.

Tout commence avec une première décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, par laquelle les Sages jugent qu’une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution acquiert automatiquement valeur législative dès lors qu’un projet de loi de ratification a été déposé dans le délai d’habilitation.

Dans la continuité de cette décision, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 1er juillet 2020, s’est estimé compétent pour connaitre d’un recours pour excès de pouvoir contre une telle ordonnance.

Enfin, par une nouvelle décision du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel répond au Conseil d’Etat dans la continuité de sa décision du 28 mai 2020.

1           La confirmation de la valeur législative de l’ordonnance non ratifiée

1.1         Rappel de l’apport de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020

En principe, tant qu’elle n’est pas ratifiée, une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution a valeur d’acte réglementaire.

Pourtant, par une décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 commentée sur le blog d’Adden, qu’il qualifie lui-même de revirement 1)Voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, p. 17, le Conseil constitutionnel considère qu’à l’expiration du délai d’habilitation, les dispositions de l’ordonnance ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.

Cela signifie qu’une ordonnance acquiert automatiquement valeur législative dès lors qu’un projet de loi de ratification a été déposé dans le délai d’habilitation, sans qu’il y ait besoin d’une ratification expresse.

En conséquence, une fois le délai de transposition échu, l’ordonnance valant loi, seul le Conseil constitutionnel serait compétent pour censurer une telle ordonnance.

1.2        Le positionnement du Conseil d’Etat

Dans son arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil d’Etat vient compléter la décision du Conseil constitutionnel.

Par une requête du 25 mars 2019, le Conseil national de l’ordre des architectes a demandé au Conseil d’Etat d’annuler partiellement l’ordonnance n°2019-36 du 23 janvier 2019 portant diverses adaptations et dérogations temporaires nécessaires à la réalisation en urgence des travaux requis par le rétablissement des contrôles à la frontière avec le Royaume-Uni en raison du retrait de cet Etat de l’Union Européenne.

Cette ordonnance a été prise par le Gouvernement sur le fondement d’une habilitation législative mais n’a pas été ratifiée après l’expiration du délai d’habilitation.

Dans son arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil d’État examine au fond un recours contre cette ordonnance non ratifiée. Il a ainsi implicitement jugé être compétent pour connaître d’un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution et n’ayant pas été ratifiée, même après l’expiration du délai d’habilitation.

Ce faisant, la Haute juridiction s’estime compétente pour connaitre des ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution ayant acquis valeur législative.

2          Désaccord au Palais Royal ?

Deux jours plus tard, les Sages du Conseil constitutionnel ont répondu au Conseil d’Etat.

Par une décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en vertu du dernier alinéa de l’article 38 de la Constitution, à l’expiration du délai de l’habilitation fixé par la loi, les dispositions d’une ordonnance prise sur son fondement ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.

Il ajoute surtout que :

« 11. Si les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut donc être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité ».

A première lecture, le Conseil constitutionnel semble réaffirmer sa compétence pour connaitre des ordonnances non ratifiées après l’expiration du délai d’habilitation, en opposition avec la décision implicite du Conseil d’Etat.

Le Conseil constitutionnel prend cependant le soin de préciser que, si les dispositions d’une ordonnance doivent être regardées dès l’expiration du délai de l’habilitation comme des dispositions législatives, c’est leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit qui ne peut être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Cette décision est à mettre en parallèle avec le commentaire précité accompagnant la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020, lequel indique que le Conseil s’est reconnu compétent pour contrôler, par la voie de la QPC, la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions d’une ordonnance non ratifiée, mais que « cette évolution ne remet naturellement pas en cause les autres voies de recours permettant de contester ces dispositions, au regard d’autres motifs que leur conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis » 2)Voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, p. 18.

En conséquence, la compétence du Conseil constitutionnel serait circonscrite aux cas dans lesquels sont invoqués des moyens relatifs aux droits et libertés. Dans un tel cas, le Conseil constitutionnel doit être saisi par l’intermédiaire d’une QPC.

En dehors de ces cas, le Conseil d’Etat demeurerait compétent pour examiner les autres motifs d’illégalités de ces ordonnances.

Le commentaire accompagnant la décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 2020 n’a pas encore été publié, il apportera peut-être des précisions sur les conséquences contentieuses de cette dernière décision et sur la répartition des compétences entre les deux occupants du Palais Royal.

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References   [ + ]

1. Voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, p. 17
2. Voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, p. 18

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